« Adopter un chien est une décision profonde » : entretien avec Cédric Sapin-Defour, auteur du livre « Son odeur après la pluie »

En passant devant la vitrine d’une librairie, vous avez peut-être déjà croisé le regard figé dans le temps d’Ubac. Le portrait de ce magnifique Bouvier Bernois orne la couverture du livre « Son odeur après la pluie », dont les mots résonnent dans le cœur de toutes les personnes partageant leur vie avec un animal. L’équipe rédactionnelle de Woopets, qui a plongé la truffe dans ce récit autobiographique, a interviewé Cédric Sapin-Defour, l’auteur de cette histoire d’amour intense et inoubliable…

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Comment est venue l’idée d’écrire un livre sur votre chien Ubac ?

J’avais besoin de passer de nouveau du temps avec Ubac, tout simplement. Était-ce dans le cadre d’une phase de travail de deuil ? Peut-être…

L’écriture est une activité qui prend beaucoup de temps, mais pour laquelle on a le luxe de choisir son compagnon. S'asseoir à son bureau devant une page blanche, couper le rythme frénétique de nos vies sous accélération permanente, s’arrêter et faire remonter les souvenirs, c’est magique. En écrivant, des pans d’une histoire commune qu’on pensait avoir oubliés ressurgissent.

Vous avez noué une relation fusionnelle avec Ubac. Comment avez-vous vécu cette traversée littéraire, l’écriture de cet ouvrage qui lui rend hommage ?

De façon à la fois clairvoyante, tout en étant chahuté et surpris en permanence. Lorsque l’on a passé autant de moments intenses avec un être vivant et que l’on écrit sur lui, des souvenirs presque oubliés réapparaissent. Il y a une réminiscence des bonheurs et des joies, mais aussi des images un peu plus percutantes parfois. On ne dicte rien au tamis de la mémoire.

Écrire ce livre sur notre histoire, c’était comme partir de nouveau en balade avec Ubac. Après sa mort, il m’a d’ailleurs fallu du temps avant de pouvoir prendre ma plume… L’écriture – un univers que j’aime explorer – nous donne la possibilité, le privilège suprême de vivre les choses et les moments une seconde fois, ce qui est merveilleux. D’aussi loin que je me souvienne, je suis très attaché à la musique et à la justesse des mots. Je souhaitais que des termes aussi gracieux qu’avait pu être la compagnie d’Ubac lui soient associés.

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© Cédric Sapin-Defour

Souhaitiez-vous faire passer un message à travers votre livre ?

Je n’ai jamais l’intention de véhiculer un quelconque message à travers mes ouvrages. Je trouve présomptueux de ma part de vouloir donner la leçon ou d’asséner des vérités. Bien sûr, il y a toujours une part de nous-mêmes dans l’écriture, de ce que nous sommes profondément, de nos convictions, de nos priorités dans la vie, de notre rapport aux autres… Je ne trahis pas qui je suis, mais je me garde vraiment de faire la messe dans mes livres.

Par contre, j’espère tout au mieux engager une conversation. J’ai rencontré beaucoup de lecteurs qui se sont interrogés sur le deuil de l’animal de compagnie, sa place dans notre vie ou encore la nature même de la relation entre un homme et son chien. Je suis ravi que mon livre puisse initier des dialogues ou faire naître des élans. Pour moi, c’est la fonction même de la littérature.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus de protection animale et d’adoption responsable. Vous dites d’ailleurs qu’adopter un chien, « c’est un engagement affectif, matériel, physique ». Pouvez-vous commenter cette phrase pour les lecteurs de Woopets ?

Adopter un chien est une décision profonde, qui nous engage pour une longue durée. L’affectivité constitue le charme et le cœur de la relation entre un être humain et un animal, c’est-à-dire qu’on accepte cette idée un peu « folle » d’aimer un autre être vivant que soi-même. Un adoptant sait qu’il s’engage dans une aventure affective, durant laquelle il devra rester attentif à l’autre et accepter sa différence. C’est formidable !

« Matériel », parce que cette présence a un coût. Je trouve logique et légitime de payer une adoption en refuge ou en élevage, cela fait partie de l’engagement. De plus, on a une part de sa vie logistique, organisationnelle et économique qui sera consacrée à son chien. Ce n’est pas rien !

Enfin, on parle d’engagement « physique », car il est très lié à la sensorialité et à la sensualité d’un rapport avec un animal. Le corps du chien est très présent à nos côtés, nous nous frottons beaucoup, nous nous appuyons l’un contre l’autre d’où le manque aussi vertigineux lorsqu’il n’est plus là.

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© Cédric Sapin-Defour

« Propriétaire », « maître », « parent »… Il existe plusieurs noms pour se définir vis-à-vis de son animal de compagnie. Vous abordez un peu cette question dans votre livre. Comment vous décrivez-vous par rapport à Ubac ?

Il y a des termes qui ne me conviennent pas, et auxquels j’ai du mal à m’associer. Derrière les mots « propriétaire » et « maître » se cache une connotation de préemption, de hiérarchisation et de soumission. En ce qui me concerne, j’entre volontiers dans le registre de l’amour ou de l’amitié.

Ainsi, le terme qui me vient spontanément à l’esprit et qui correspond le plus à la nature de la relation que j’établis avec mes animaux, est celui de « compagnonnage ». Je la vis comme une sorte de fraternité et de « tutorat » équilibré, horizontal et réciproque, car j’apprends beaucoup d’eux.

Vous avez accordé plusieurs interviews au sujet de votre livre, et avez été sollicité par de nombreux médias. À ce jour, des milliers d’exemplaires ont été vendus. Comment vivez-vous ce succès fulgurant ?

Je m’en réjouis ! Quand mon éditeur m’appelle pour me dire qu’on en est à 230 000 tirages, je suis rassuré. Rassuré de vivre dans un monde où un roman sur la relation à un animal et à la nature – qui est très présente dans Son odeur après la pluie – reçoit une telle audience.

Toutefois, j’essaye de me tenir à distance de l’explication. Ce serait assez « schizophrénique » d’être à la fois la personne qui vit l’histoire, en fait un livre et analyse les raisons de son succès.

Lors des échanges avec les lecteurs, j’entends les raisons qui peuvent expliquer cet écho favorable. C’est notamment une histoire qui parle au plus grand nombre : ce que l’on croyait très intime s’avère finalement universel. En somme, plus on va à l’os dans la création, plus son contenu est partageable.

De nombreux lecteurs qui éprouvent des sentiments pour leur animal de compagnie m’ont également confié qu’ils se sentaient moins seuls. Ils s’autorisent à parler d’amour, chose qu’ils avaient tendance à chuchoter jusqu’ici. Même si on observe des progrès dans notre société, les sentiments que l’on peut éprouver vis-à-vis d’un chien sont encore moqués parfois. En lisant mon livre, certaines personnes se sentent comprises.

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© Woopets

Lorsque vous êtes interviewé, les journalistes ont tendance à citer des extraits qui les ont marqués ou qui ont particulièrement touché les lecteurs. Chez Woopets, nous souhaitons vous demander – en toute humilité et même si vous pouvez être fier de l’ensemble de votre œuvre –, quel est le passage que vous avez préféré retranscrire sur le papier ?

Nous parlions tout à l’heure de la réminiscence des souvenirs. Lorsque j’ai écrit sur ma rencontre avec la meute d’Ubac, des précisions ont resurgi de ma mémoire. Ce qui m’a le plus remué ? L’instant où je l’ai vu pour la première fois. C’est quelque chose une rencontre. Les quelques lignes que j’ai pu écrire là-dessus m’ont convaincu de poursuivre ce livre.

On s’agite beaucoup dans notre existence pour revivre les premières fois (le premier émoi, la première rencontre…). Durant la phase d’écriture, c’était plaisant de revivre cet instant qui avait pourtant disparu dès le moment où je l’avais vécu. Je trouve cela particulièrement poétique, cette possibilité de revivre, un peu.

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En 13 ans, vous avez amassé énormément de souvenirs avec votre Bouvier Bernois, que vous avez adopté lorsqu’il était chiot. Vous avez vécu pléthore d’aventures, connu des hauts et des bas, vous avez fait l’expérience du deuil… Avec tout ce que vous avez traversé et avec ce qu’Ubac vous a appris, quel « conseil » pouvez-vous donner aux personnes qui nous lisent ?

Il est important de préserver l’audace d’aimer un autre que soi, d’explorer une relation mystérieuse, d’aller sans peur vers l’altérité. C’est une richesse absolue. Il ne faut pas être effrayé par l’inconnu, mais plutôt se laisser attirer et séduire par ce dernier. Car cette différence nous emplira.

Depuis quelques semaines, j’ai adopté un nouveau chien avec mon épouse. Il fonctionne de manière différente, mais il est hors de question de projeter nos souvenirs d’Ubac sur lui. Nous sommes à une période où nous essayons de décrypter et de décoder un jappement, une posture ou un regard. Nous nous découvrons. Cela nous décentre tellement de nous-mêmes et de nos dogmes. Cette audace d’aimer l’autre, l’inconnu, le mystère maintient le monde.

Cédric Sapin-Defour, Son odeur après la pluie, Éditions Stock, 20,90 €. En vente en librairie.

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