Jean-Philippe Noël, journaliste animalier

Jean-Philippe, votre profession fait rêver tous ceux qui aiment les animaux ! Comment vos journées sont-elles rythmées ?

En tant que journaliste indépendant, je suis payé à la pige. Je ne bénéficie d’aucun congé vacances ni de treizième mois, et je fais du télétravail depuis 20 ans. C’est un choix de vie. Néanmoins, j’ai la chance de voyager beaucoup et de collaborer avec divers magazines (Télé Star Jeux, Pleine vie…), en alimentant régulièrement des rubriques dédiées aux animaux (principalement), au tourisme ainsi qu’à l’Histoire. Je réalise aussi des interviews d'écrivains.

Je collabore depuis de nombreuses années avec le mensuel 30 Millions d’Amis. Outre le cahier Junior, je travaille sur des dossiers qui traitent d’actualité et de sujets controversés comme la chasse, les animaux dits nuisibles ou les progrès de la médecine vétérinaire.

Comment êtes-vous devenu journaliste animalier ?

Il n’y a jamais vraiment eu de question : je suis né avec la passion des animaux. Durant ma jeunesse, je passais mon temps à les observer dans la nature et à lire des encyclopédies ou des magazines animaliers. Je créais des dossiers par espèce, que j’ai conservés longtemps. Ainsi, j’ai toujours su que ma vie serait liée au monde animal.

Très tôt, j’ai caressé l’espoir de devenir éthologue, c’est-à-dire de partir sur le terrain et d’étudier le comportement des animaux. Mais pour suivre cette voie, il fallait avoir un profil scientifique. Or, les études n’étaient pas ma tasse de thé ; je souffrais notamment de phobie scolaire. La seule activité qui me plaisait vraiment ? Faire des exposés sur les animaux !

Après avoir obtenu le bac, j’ai intégré une école de journalisme. Au cours de ma formation, j’ai eu la chance d’effectuer un stage aux côtés d’Allain Bougrain-Dubourg. À 20 ans, il m’a engagé en tant qu’assistant de production pendant toute une année. Par la suite, j’ai travaillé 10 ans dans une société de production audiovisuelle, qui réalisait des émissions animalières. En parallèle, j’ai commencé à écrire des articles destinés à la presse pour enfants. C’est comme ça que tout a commencé.

Comment le métier de journaliste animalier était-il perçu à l’époque ?

En presse écrite, l’animal était considéré comme un sujet terriblement secondaire. Qu’est-ce que cela pouvait faire que des espèces sont menacées, alors que des gens mouraient de faim, que des crises éclataient dans le monde et que le chômage sévissait ? Celles et ceux qui s'intéressent aux animaux ont certainement entendu cette phrase : « Tu ferais mieux de t’occuper des Hommes. »

À l’époque, les seuls magazines animaliers qui nous ouvraient les portes dépendaient de la presse jeunesse. Quand j’ai débuté ma carrière dans le milieu journalistique, il y avait par exemple Fripounet et le Journal de Mickey. C’était assez caricatural. Au fil du temps, la presse animalière a évolué, mais on observe encore aujourd’hui une vision quelque peu anthropocentrée…

Aujourd’hui, quel est le plus gros challenge ?

Le plus grand défi à l’heure actuelle – je parle notamment pour ma génération – est de ne pas se décourager ! Lorsque nous avons commencé à écrire sur les animaux et la perte de la biodiversité, nous pensions qu’il suffisait de tirer la sonnette d’alarme pour que les choses bougent. Trente ans après, nous ne pouvons que constater que nous avons eu tort, la biodiversité ne s’est jamais si mal portée.

Certains de mes collègues estiment qu’il faut devenir « extrémistes ». Personnellement, l'extrémisme m’a toujours un peu effrayé, même si je reconnais que c’est souvent le seul moyen de faire bouger les lignes.

On dit souvent qu’un journaliste doit rester objectif…

Je ne pense pas que l’objectivité existe chez les journalistes. Elle est d’autant plus difficile à tenir lorsque l’on exerce dans un domaine où dominent les passions, c’est même une des difficultés de notre métier. Si nous voulons être crédibles, il faut garder une part d'objectivité, sinon nous devenons des militants, ce qui est le rôle des associations. Dans le même temps nous le sommes, puisque nous défendons une cause qui nous semble juste. L’équilibre est d’autant plus difficile à tenir que nos contradicteurs, eux, ne sont jamais objectifs.

Si vous prenez le discours de la Fédération des chasseurs, il est bourré d’inexactitudes ou de mensonges, comme d'affirmer que 30 % du territoire français est soustrait à la chasse, ce qui ne repose sur aucune donnée vérifiable, de même que de faire croire à l’opinion publique que la chasse est nécessaire pour réguler les espèces. Mis à part le sanglier qui peut poser des problèmes çà et là, je ne crois pas que ni les grives, ni les belettes ne prolifèrent.

Quelle anecdote marquante avec les animaux souhaitez-vous nous partager ?

Quand j’étais enfant, je ne ratais jamais l’émission Les Animaux du Monde diffusée tous les dimanches soir. Je me souviens avoir regardé un documentaire sur les flamants roses de Namibie, et me suis fait la promesse d’y voyager un jour.

À 30 ans, j’ai décidé de partir tout seul dans ce pays durant un mois. J’ai pris ma tente et loué une voiture sur place. Alors que j’effectuais un trek le long d’une falaise, un groupe de babouins s’est placé autour de moi. À ce moment-là, je me suis glissé dans la peau de Dian Fossey et me suis assis calmement.

Pendant que les adultes m’observaient, les petits se sont amusés à se faire peur en s’approchant le plus près possible. Grâce à mes lectures, je savais que je ne devais faire aucun geste violent – notamment envers les plus jeunes – et garder les yeux baissés pour ne pas défier les mâles dominants, qui ne perdaient rien de mes faits et gestes. J’ai vécu un moment incroyable et perdu toute notion du temps !

L’expérience que j’ai passée en Namibie a fait que 2 ans plus tard, je suis devenu guide là-bas. Pendant 5 ans, j’ai savouré de beaux moments de partage dans les réserves, notamment en expliquant aux visiteurs les raisons pour lesquelles il faut protéger les espèces.

Quels sont les autres projets phares sur lesquels vous travaillez ?

J’ai commencé tôt à écrire des livres, avec une collection intitulée Carnet de bord chez Hachette. C’était un animal qui racontait sa vie, depuis les premiers jours de sa naissance. Par la suite, j’ai publié un ouvrage sur les dinosaures et enchaîné 3 livres : Ces Animaux qui font l’Histoire ; Les champions du camouflage ; Complicités animales (avec Annie Duperey).

Parallèlement, le théâtre est entré dans ma vie. De mon amour pour les animaux et des années de fréquentation avec des comédiens est née l’idée de faire rencontrer les deux. C’est ainsi que le festival « Lectures aux animaux » a vu le jour en Sarthe. Au cours de l’événement, des comédiens lisent des textes littéraires, philosophiques ou naturalistes sur les animaux. Des artistes, des peintres et des sculpteurs exposent également leurs œuvres.

Lors de la première édition, j’ai fait découvrir un texte de Montaigne sur l’intelligence animale. Une dame m’a confié qu’elle avait étudié cet écrivain à l’Université, mais qu’elle n’avait jamais entendu parler de cet écrit ! Cela rejoint ce que je disais au début, tout ce qui touche au monde animal, culture comprise, a toujours été considéré comme réservé au monde de l’enfance ou de peu d’importance. Pourtant des auteurs aussi importants que Zola, Hugo, Blixen ou Sepulveda ont écrit des pages merveilleuses et très fortes sur les bêtes.

Précédemment, vous avez cité Dian Fossey, à qui vous avez consacré une bande dessinée. Quelle figure du secteur animalier vous inspire le plus ?

Cette femme a choisi sa vie. Plus libre qu’elle, je pense que ça n’existe pas. Dian Fossey était colérique, ingérable, mais a tenu son combat et elle en est morte. Elle a tout donné. J’ai beaucoup d’admiration pour la femme et son parcours que l’on a trop souvent caricaturé. Si les gens peuvent voir des gorilles aujourd’hui, c’est grâce à elle.

Elle n’est évidemment pas la seule. Pour ne rester que sur des compatriotes, je citerai Bardot qui, quelles que furent ses déclarations, n’a rien lâché ; ou moins connus du grand public, les frères Terrasse grâce auxquels des vautours planent de nouveau au-dessus de nos têtes. Et bien sûr, Allain Bougrain-Dubourg. J’ai beaucoup de respect pour son parcours et son intégrité.

Qu’est-ce que les animaux vous ont appris ?

Que la vie est belle ! Pour moi, la vie est un papillon qui se pose sur une rose, un oiseau qui file dans le ciel… Ce que l’animal m’a aussi appris, c’est cette incapacité des Hommes à voir la fragilité et la beauté de cette petite planète bleue perdue dans un infini sans vie.

Ce qui me rend encore plus dingue, c’est qu’aujourd’hui tout le monde revendique « aimer les animaux ». Il y a trente ans, cela passait pour une faiblesse ou un enfantillage. Aujourd’hui, il n’y a pas un intellectuel, un philosophe, un politique qui ne revendique son amour des animaux.

Plus l’effondrement de la biodiversité est inéluctable, plus les animaux sont présents dans la littérature et les discours. Et pourtant rien ne bouge. D’ailleurs, je pense qu’une profonde colère bout en moi. Le journaliste animalier que je suis a parfois envie de crier : « Mais pourquoi ne nous avez-vous pas entendus ? »

Propos recueillis parJoséphine Voisart